L.M. : Au cours dʼun chemin théâtral le plus souvent effectué « en Compagnie », vous avez travaillé, entre autres, à Paris avec Jean-Christian Grinevald ; dans les quartiers de Seine Saint Denis avec Marc-Ange Sanz et lʼEmpreinte & Cie ; en Région Lorraine où votre compagnie était conventionnée par la DRAC ; en milieu rural avec Anapiesma ; avec le Groupe Ex-Abrupto à Toulouse ; ou encore plus récemment avec Laurent Pérez au sein de lʼEmetteur Cie… Comment est née lʼenvie de cette nouvelle Compagnie Le Bruit des Gens ?
O.J. : Depuis plusieurs mois, je sentais que nos options artistiques à Laurent Pérez et à moi, étaient en train de se singulariser. La « ligne artistique » de lʼEmetteur Compagnie que nous dirigions, sʼen trouvait floutée, ce qui pouvait entrainer une certaine confusion. Il mʼest apparu naturel de lui laisser les rênes de lʼEmetteur dont il était le fondateur, et de donner naissance à La Compagnie Le Bruit des Gens, afin quʼelle porte dorénavant mes propres projets de création.
L.M. : Comment définiriez-vous votre singularité artistique, que cette compagnie va donc porter ?
O.J. : Je creuse depuis de nombreuses années le sillon dʼun théâtre éminemment politique qui tente de renouer avec lʼétymologie du mot théâtre : « lʼendroit dʼoù lʼon regarde le monde ». Un monde que jʼobserve le plus souvent par ses marges, tant il est vrai que ce qui est mis au ban nous renseigne grandement sur ce qui est au centre. Mon théâtre sʼattache à repérer et dessiner les lignes de frontière entre des idées ou des forces antagonistes. Jʼy interroge la capacité de lʼindividu à réagir à toute forme dʼoppression systémique, quʼelle soit politique, culturelle, sociétale ou intime. Loin de tout dogmatisme simplificateur ou moralisateur, ce sont nos disfonctionnements que je tente de mettre en lumière, moins dans un souci dʼapporter des réponses que dans celui dʼéveiller le questionnement. Finalité revendiquée, je pense, de tout acte théâtral.
L.M. : Où sont vos principales sources dʼinspiration?
O.J. : Dans les textes, sans aucun doute. Jʼai besoin de mʼappuyer sur des écritures fortes et singulières qui me permettent un travail en prise avec nos problématiques contemporaines. Jʼai eu également la chance – on en parlait plus haut -, de croiser sur ma route des hommes et des femmes de théâtre de grande valeur. Leur souvenir nourrit encore aujourdʼhui mon travail au quotidien…
L.M. : Comment qualifieriez-vous votre esthétique ?
O.J. : Je me sens affranchi de tout postulat esthétique, ou toute posture formelle héritée dʼune quelconque chapelle théâtrale. Cʼest toujours le fond véhiculé par le texte qui inspire la forme la plus appropriée pour chacune de mes créations. Aucune recette ne permet à mon sens de cuisiner de la même manière Sophocle et Spiro Scimone. Ou encore Marivaux, Turrini, Kroetz, Brecht, Tchekhov, Kaliski, Koltès, Srbljanovic, Rodrigo Garcia, Musset, Max Aub, ou Arrabal…
L.M. : On reconnaît pourtant une certaine unité dans vos spectacles?
O.J. : Jʼaime avant tout que la scène soit le lieu dʼune prise de parole qui cherche du sens dans les soubresauts de nos sociétés post-modernes déboussolées. Cette parole souvent violente, nʼexclut pas une certaine poésie voire un certain symbolisme iconographique. Jʼaime soigner les images, même les plus épurées, afin comme le disait Vitez de « prendre soin de lʼoeil du spectateur. Cʼest pour cela que je porte, par exemple, une attention très particulière à des lumières « qui racontent » plus quʼelles nʼéclairent et un son qui participe au récit plus quʼil ne lʼillustre. Mais surtout, je ne cesse de traquer au théâtre, ce que jʼappelle « lʼirruption du réel » ; ces failles par lesquelles, au détour dʼune émotion, jaillit une vérité intime révélatrice dʼune humanité complexe, reconnaissable par tous. Par un travail sensible et précis, cʼest dʼabord aux acteurs que je confie le soin dʼincarner cette vérité intime pour la faire apparaître.
L.M. : Le spectateur a souvent une position particulière.
O.J. : Loin dʼune coutume consumériste de divertissement culturel, je revendique un théâtre qui offre à chacun la possibilité de prendre place dans une Assemblée Théâtrale élargie, qui dépasse de beaucoup lʼespace scénique. Aussi, je questionne systématiquement dans le processus de création, lʼangle de perception du public. Le moment de la représentation devant être lʼépisode privilégié dʼun acte social où acteurs et spectateurs peuvent se reconnaître, se retrouver dans un espace-temps exempt de tout a priori conventionnel.
L.M. : Pour terminer, pourquoi ce nom, Le Bruit des Gens ?
O.J. : Depuis toutes ces années (je commence à avoir lʼâge dʼun monsieur), jʼessaye dʼécouter le bruit des gens, pour que de tout le brouhaha du monde, émerge quelques paroles dignes dʼêtre écoutées… Ces paroles, cʼest ça : Le Bruit des Gens !
« Il y a des vies où les difficultés touchent au prodige »
Gilles Deleuze.